Les Témoins de Jéhovah et le service militaire
Depuis plus de 70 ans les Témoins de Jéhovah refusent de faire leur service militaire. Ils ont refusés jusqu’en 1995 de faire un service civil de remplacement dans les pays où cela était possible. En France, c’est l’Etat qui leur a créé un statut sur mesure en 1993 pour éviter aux jeunes appelés Témoin de Jéhovah de purger une peine de prison allant jusqu’à 24 mois.
Les Témoins de Jéhovah défendent leur position en s’appuyant sur les propos de Jésus qui affirme que « celui qui prendra l’épée périra par l’épée » (Matthieu 26 :52). Ils se basent aussi sur les avis de plusieurs Pères de l’Eglise comme par exemple Tertullien pour affirmer que les premiers chrétiens ne pouvaient pas être militaires.
Même si le but de cet article est de dresser l’historique sur les rapports des Témoins de Jéhovah avec le service militaire, il est intéressant néanmoins de s’arrêter quelques instants sur ces arguments.
Jésus n’a pas condamné le service militaire, il n’en a tout simplement pas parler. Seul Jean le baptiste en a parlé en Luc 3 :14, il ne condamne pas le métier de soldat, il demande seulement aux militaires de se contenter de leur salaire donc de ne pas piller. Pareillement, quand Jésus a des rapports avec un centurion en Matthieu 8 :5, il n’aborde pas le sujet. Du temps des apôtres, la conversion du Centurion Corneille ne nous donne pas l’occasion d’en savoir plus, la Bible est donc muette là-dessus.
Le christianisme primitif est multiple, la centralisation du pouvoir prendra de nombreux siècles à se réaliser. Georges Minois dans son livre L’Eglise et la guerre déclare page 51 [i] :
« Pour autant que nous puissions en juger d’après les rares témoignages de l’époque, la majorité des chrétiens des trois premiers siècles ne semblent pas voir de contradiction fondamentale entre christianisme et vie militaire. (…) De fait, la présence de soldats chrétiens est parfaitement attestée, sans que l’on puisse avancer de chiffres ou même de proportions. Leur nombre semble relativement faible jusque dans la seconde moitié du IIème siècle, selon les témoignages épigraphiques, puis gonfle à partir des années 170. »
Le problème militaire semble une question personnelle suivant les circonstances à cette époque. Par la suite, les intellectuels chrétiens condamneront le service militaire, néanmoins les propos de Tertullien sont à resituer dans leur contexte, comme le note Georges Minois, Tertullien est séduit par l’ hérésie montaniste à caractère pacifiste au moment où il critique le métier de soldat (Page 54), ironiquement c’est lui qui a attesté l’existence de soldats chrétiens répondant aux critiques comme quoi les chrétiens étaient inutiles à la société (Apologétique XLII,3). [ii] Si il est tout à fait possible que la foi chrétienne mène à l’objection de conscience et au pacifisme, il est par contre beaucoup plus critiquable de caricaturer comme le font les Témoins de Jéhovah, l’histoire et les écrits sacrés.
Le fondateur des Témoins de Jéhovah, Charles Taze Russell ne voyait aucune objection à ce qu’un chrétien accomplisse son service militaire, néanmoins en cas de guerre, il proposait aux fidèles de servir dans les corps non-combattant des armées comme les services médicaux ou au pire de tirer en l’air pour effrayer l’ennemi. [iii] Durant la guerre de 14-18, Russell demandera aux lecteurs de la Tour de Garde de soutenir des Etudiants de la Bible d’Angleterre qui ont refusé de se faire incorporer en lançant une campagne de pétition pour que ceux-ci puissent obtenir la possibilité d’effectuer un service non-armé. [iv] C’est la première mention d’un refus d’incorporation de la part de Témoins de Jéhovah. Bien que Russell n’avait pas prévu le refus d’incorporation, il semble que mis devant le fait accompli il n’est rien trouvé à redire du moment que les fidèles réclament un service non-armé, il laissa donc les fidèles décider par eux-même devant cette situation concrète.
Rutherford, le successeur de Russell n’avait pas la même vision des choses. En 1917, il fit publier le Septième volume des Etudes des Ecritures présentant le travail de deux de ses amis comme le livre posthume de Russell. Ce livre comportait des passages très vindicatifs sur la guerre et les Etats-Unis. Le livre fût interdit et Rutherford et ses collaborateurs envoyés en prison. Rutherford accepta de supprimer les passages posant problème, fît écrire une prière pour la victoire de l’Amérique dans la Tour de Garde, lança une souscription pour les bons du Trésor pour l’effort de guerre et fût finalement libéré après la guerre. Les années suivantes furent l’occasion d’un raidissement de la doctrine et une pluie d’interdit fût publier en rapport avec la compromission envers l’Etat : Interdiction de voter, de saluer le drapeau et bien sûr d’effectuer son service militaire. Bien sûr, ces interdits provoquèrent de graves ennuis aux fidèles Témoins de Jéhovah sous les régimes totalitaires nazies et fascistes ainsi que dans les démocraties pendant cette période troublée de l’histoire.
D’après Raymond Franz, ancien membre du Collège Central des Témoins de Jéhovah, l’interdiction du service civil fût décidée au cours de la Seconde Guerre Mondiale.(Crisis of Conscience P. 101)
1943-Suisse
Néanmoins, cette interdiction du service militaire ne sera pas uniforme avant la fin de la Seconde guerre mondiale. Pierre Oddon, un pasteur évangélique spécialisé dans l’évangélisation aux Témoins de Jéhovah, révèlera d’après des documents d’archives suisses, une curieuse persistance du point de vue de Russell en Suisse et cela en 1943. Accusé d’être contre le service militaire les autorités suisses des Témoins de Jéhovah prétendront dans une lettre adressée aux autorités suisses « qu’à aucun moment, ils n’avaient vu l’accomplissement des obligations militaires comme une offense contre les principes et les aspirations de l’association des Témoins de Jéhovah », pour preuves de leur bonne foi, la lettre précisera que « des centaines de nos membres et de nos sympathisants ont accomplis leur obligation militaire et continuent à le faire. »
Certes la Suisse était neutre pendant cette guerre, néanmoins l’attitude des Témoins de Jéhovah envers le service militaire ne s’est jamais occupé de savoir si l’état qui demandait l’accomplissement des obligations militaires était en guerre ou pas, alors que des Témoins de Jéhovah allemand se faisaient exécutés pour refus du service militaire, l’attitude de la branche suisse ne finit pas de poser problème.
Néanmoins, l’annuaire 1987 consacré à l’histoire des Témoins de Jéhovah de Suisse déclare par rapport à la période de la Seconde guerre mondiale : « Fidèles aux directives de leur conscience, la plupart des Témoins de Jéhovah refusèrent le service armé (És. 2:2-4; Rom. 6:12-14; 12:1, 2) » (Page 156).
Etait-ce une nouvelle fois une manœuvre de diversion comme la déclaration de 1933 en Allemagne ? La Suisse a été le siège du bureau des Témoins de Jéhovah qui supervisait l’œuvre des Témoins de Jéhovah dans toute l’Europe y compris l’Allemagne jusqu’en 1940, les Témoins de Jéhovah Suisse ont-ils tenté de préservé leur réseau européen par un compromis ? On ne peut l’affirmer, l’histoire officielle du mouvement ne dit rien à ce sujet, l’annuaire 1987 évacuant en quelques pages l’histoire Suisse des Témoins de Jéhovah durant la période 1942-1945 en moins de 8 pages d’informations très générales.
Une année après avoir écrit ces lignes, je suis entré en possession du livre de Sylvie Graffard et Léo Tristan intitulé "Les Bibleforshers et le Nazisme -1933-1945" dans sa 6ème édition. Cette affaire est évoquée. Les auteurs de ce livre ont eu la chance d'avoir une réponse des autorités jéhovistes de Suisse dont voici quelques extraits: (Page 53 et 54)
"En 1942 un procès militaire remarquable s'est tenu contre les dirigeants de l'oeuvre. Le dénouement ? On ne reconnaissait que partiellement l'argumentation chrétienne des défendants et on leur attribuait un degré de culpabilité dans la question du refus du service militaire. En conséquence, un grave risque planait sur l'oeuvre des Témoins de Jéhovah de Suisse, celui d'une interdiction formelle prononcée par le gouvernement. Le cas échéant, les Témoins auraient perdu le dernier bureau encore officiellement opérant sur le continent européen. Cela aurait sévèrement menacé l'assistance en faveur des Témoins réfugiés provenant des pays gouvernés par les nazis ainsi que les efforts clandestins en faveur des victimes de la persécution en Allemagne.
C'est dans ce contexte dramatique que les avocats des Témoins, parmi eux Maitre Johannes Huber de St-Gall, conseiller national d'excellente réputation et appartenant au parti social-démocrate, encouragèrent les responsables du Béthel à publier une déclaration qui dissiperait les calomnies politiques lancées contre l'Association des Témoins de Jéhovah. Le texte de la "Déclaration" fut préparé par cet avocat, mais signé et publié par les responsables de l'Association. La "Déclaration" était de bonne foi, et, dans l'ensemble, bien formulée. Elle a probablement contribué à éviter l'interdiction.
Cependant, l'affirmation de la "Déclaration" selon laquelle "des centaines de nos membres et amis" avaient rempli et continuaient à remplir "leurs devoirs militaires" résumait trop simplement une réalité plus complexe. Le termes "amis" se référait à des personnes non baptisés, notamment des maris non-Témoins qui eux, bien sûr, accomplissaient leur service militaire. Quand aux "membres", il s'agissait en fait de deux groupes de frères. Premièrement, il y avait les Témoins qui avaient refusé le service militaire et avaient été comdamnés assez sévèrement. La "Déclaration" ne les mentionne pas. Deuxièmement, il y avait un certain nombre de Témoins qui étaient effectivement enrôlés dans l'armée.
A cet égard, il convient de relever un autre aspect important. Lorsque les autorités argumentaient avec les Témoins, elles insistaient sur le fait que la Suisse était neutre, que la Suisse n'allait jamais prendre l'initiative d'une guerre et que la légitime défense ne violait pas les principes chrétiens. Ce dernier argument n'étaiet pas irrecevable pour les Témoins. Ainsi le principe d'une neutralité chrétienne mondiale de la part des Témoins de Jéhovah était obscurci par le fait de la "neutralité" officielle de la Suisse. Les témoignages de nos doyens qui ont vécus cette époque attestent ceci: Dans le cas où la Suisse serait entré activement en guerre, ceux qui étaient enrôlés étaient décidés à immédiatement se désolidariser de l'armée et à rejoindre le rang des objecteurs. [...]
Malheureusement, depuis 1942 les contacts avec le siège mondial des Témoins de Jéhovah étaient coupés. Les responsables de l'oeuvre en Suisse n'ont donc pas eu la possibilité de le consulter pour recevoir les conseils nécessaires. En conséquence, parmi les Témoins de Suisse, certains ont choisi d'être objecteurs de conscience et de refuser le service militaire, ce qui leur a valu l'emprisonnement, alors que d'autres furent d'avis que le service dans une armée neutre, dans un pays non-combattant, n'était pas inconciliable avec leur foi.
Cette position ambiguë des Témoins en Suisse n'était pas satisfaisante. C'est pourquoi, aussitôt après la Guerre terminée et les contacts rétablis avec le siège mondial, la question fût abordée. Les témoins ont parlés très ouvertement de l'embarras que la "Déclaration" leur avait causé. Il est d'ailleurs interessant de relever que la phrase problématique fut l'objet d'une réprimande et d'une correction publique de la part du président de l'Association Mondiale des Témoins de Jéhovah, M.N.H Knorr, et cela en 1947, lors d'un congrès à Zurich [...]
Depuis lors, il a toujours été clair pour l'ensemble des Témoins suisses que la neutralité chrétienne signifie s'abstenir de tout lien avec les forces militaires du pays, même si la Suisse continue à professer sa neutralité officielle. [...] " Les coupures dans le texte sont de l'auteur du livre pas de l'auteur de cette page Web.
Cette déclaration est unique, c'est la seule déclaration officielle sur le sujet de la part des instances jéhovistes. Elle répond à certaines questions et en évoquent d'autres. Les réponses apportées sont claires, il s'agissait de protéger le dernier bureau en activité en Europe. La déclaration était ambigue, on pourrait rajouter volontairement ambigüe, il s'agissait de faire croire aux autorités suisses que les Témoins de Jéhovah qui refusaient le service militaire le faisaient de leur propre chef, alors que des "centaines" de Témoins de Jéhovah faisaient leur service militaire, ce qui semble faux suivant la déclaration de l'annuaire 1987 des Témoins de Jéhovah précedemment citée qui déclarait que "la plupart des Témoins de Jéhovah ont refusés de faire le service militaire". Pour celà le rédacteur de cette déclaration incluait sans le préciser les maris non Témoins de Jéhovah et les non-baptisés qui ne sont pas considérés comme Témoins de Jéhovah suivant la doctrine jéhoviste et apparement quelques véritables Témoins de Jéhovah.
Le noeud du problème et des nouvelles interrogations réside ici. Soit il était encore possible à l'époque d'être Témoin de Jéhovah et faire son service militaire même dans un pays neutre ou en tout cas qui n'était pas en guerre, et on se demande pourquoi dans tous les autres pays qui n'étaient pas en guerre, le service militaire était interdit suivant la théorie actuelle des dirigeants jéhovistes? Soit il n'était plus possible de faire son service militaire une fois Témoin de Jéhovah et les autorités jéhovistes suisses ont menties.
La responsabilité de ce texte est attribuée à une personne extérieure au mouvement. On ne peut que noter que ce fut pratiquement le cas pendant longtemps pour la déclaration antisémite et collaboratrice de Juin 1933 des Témoins de Jéhovah allemand jusqu'à ce que des historiens extérieurs aux Témoins de Jéhovah démontrent que ce n'était pas Paul Balzereit, qui se fait littéralement lynché dans l'annuaire de 1974 comme étant un traitre à la cause jéhoviste, mais bien Joseph Rutherford qui fût l'auteur du texte présentant les Témoins de Jéhovah comme souhaitant collaborer avec Hitler et manifestant la même antipathie envers les Etats-Unis et les milieux juifs que Hitler. Dans tous les cas les autorités suisses jéhovistes furent bien les signataires de ce texte même s'il fut rédigé par un de leur avocat.
Reste l'argument de la coupure d'avec le Siège mondial à partir d'Octobre 1942 puis de la réprimande publique de 1947. Cet argument, s'il dédouane les autorités internationales accréditerait la thèse que les autorités jéhovistes suisses ont utilisées un artifice peu recommandable pour se faire bien voir des gouvernants suisses. Avec l'affaire de l'association avec l'ONU dans les 90 ainsi que l'affaire du compromis mexicain dans les années 70 sur le service militaire également ce serait un nouveau couac que n'assume pas les autorités de la secte.
Sous la direction du 3ème président de la Société Watchtower, Nathan Knorr, la question du service civil fût régulièrement rapporté dans les colonnes de la Tour de Garde des Témoins de Jéhovah. Les Témoins de Jéhovah demandaient l’exemption pure et simple car chaque membre des Témoins de Jéhovah suivant Knorr était un ministre chrétien. Là où ils n’obtenaient pas l’exemption, c’est à dire dans la plupart des pays, ils préféraient la prison au service civil. L’exemple français des années 60 est d’ailleurs édifiant à ce sujet.
Louis Lecoin, pacifiste et anarchiste, est le père du statut d’objecteur de conscience en France. C’est par sa lutte acharnée de 1957 à 1963 qui culminera par une grève de la faim, qu’une loi instituant ce statut sera voté. La majorité des prisonniers refusant de faire leur service militaire durant cette période étaient Témoins de Jéhovah. Malgré de régulières mises en garde de la part de ses proches, Louis Lecoin éprouvait énormément de sympathie envers ces prisonniers. Il a déclaré à ce propos [v] :
« Assurément, ce ne sont pas les objecteurs de conscience que nous préférons. L'objection de ceux-là est particulière et généralement puisée non en eux-mêmes mais dans les Commandements d'un Dieu obéi en tout aveuglément (…)Mais - que ça plaise ou non - ce sont eux qui, depuis quelques années, peuplent les prisons après avoir répudié l'armée et la guerre."
Il oeuvrera beaucoup lui et son mouvement pour l’amélioration de la vie de ces prisonniers comme il le rapporte dans son autobiographie :
« beaucoup d'entre eux, et ils eurent raison, nous appelèrent constamment à leur secours. Ils avaient en tout cas indéniablement tout accepté : l'amélioration de leur régime de prisonniers, la libération après cinq ans, après trois ans, tout cela dû à nos efforts - et les milliers de mandats que Véran leur adressa, dont le montant était péniblement recueilli par nos soins. »
Le vote de cette loi est semée d’embûches, le contexte de la Guerre d’Algérie, la hiérarchie militaire, le Sénat, tout joue en la défaveur de celle loi. Dans la dernière ligne droite, un dernier coup aurait pu définitivement rayer le vote de cette loi. Le 13 Août 1963, Louis Lecoin et le Président de la République reçoivent une lettre rédigée par 73 des 120 Témoins de Jéhovah incarcérés en Dordogne pour leur refus de service militaire, dont voici un extrait :
« A maintes et maintes reprises vous avez eu connaissance de la position des Témoins de Jéhovah sur le statut civil. Vous n'êtes pas sans savoir que les Témoins de Jéhovah se bornent à réclamer l'exemption pure et simple de tout service civil et militaire. Nous ne pourrons jamais assumer devant Dieu la responsabilité de nous éloigner "volontairement" de notre ministère chrétien.
Aussi, nous vous informons que les Témoins de Jéhovah n'ont jamais été solidaires, et ne le seront jamais, des actions que vous pourriez entreprendre pour le statut, ces dernières n'étant rien d'autre qu'un obstacle infranchissable pour la conscience chrétienne. Aussi, nous vous serions infiniment reconnaissant lorsque vous intervenez auprès du Gouvernement, de le faire uniquement pour les objecteurs de conscience non violents, les Témoins de Jéhovah ne pouvant en aucun cas être à vos côtés dans cette lutte. »
Expliquant ce qui c’était passé dans le camp en Dordogne, Lecoin fit ce commentaire :
« Les promoteurs de ce dégonflage passèrent de longs jours à influencer leurs coreligionnaires - mielleux, virulents et même menaçants - pour arracher ces signatures. Ils en réunirent soixante-douze ; c'était beaucoup, beaucoup trop, et je ne méritais pas qu'ils s'affirmassent si nombreux dans cette indignité ; mais en écrivant au général De Gaulle ils mentirent volontairement par omission en lui cachant qu'ils étaient, là-bas, cent vingt Témoins de Jéhovah et que quarante-huit avait refusé de se parjurer à leur suite et à leur image. »
Malheureusement pour ce coup de poignard dans le dos, il n’atteindra pas son but :
« Le 20 août quelqu'un revient de l'Élysée où il a pu s'entretenir avec la haute personnalité que le Président de la République a chargée de tout régler en ce qui concerne les objecteurs de conscience. Cet éminent fonctionnaire tenait en main la fameuse lettre et s'adressant à son interlocuteur - un de nos défenseurs - il s'écria : quels salauds à l'égard de Lecoin !
Les dirigeants de la secte siégeant à Brooklyn avaient raté leur mauvais coup, et les soixante-douze s'étaient déshonorés pour rien.
L'Élysée, l'Hôtel Matignon étoufferont cette pétition ; l'état-major n'en aura connaissance, heureusement, que bien plus tard. »
Pour la petite histoire, la loi votée contre le gré de la hiérarchie jéhoviste, améliorera le sort des prisonniers Témoins de Jéhovah quand même :
« La loi accordant statut aux objecteurs de conscience est votée. Elle a été promulguée le 22 décembre 1963 et le 24 du même mois, la veille de Noël, tous les objecteurs emprisonnés ont été libérés, TOUS SANS EXCEPTION, même les Témoins de Jéhovah qui refusent le statut. Ils ont été tous libérés avec en poche une permission de 30 à 90 jours. C'est la grande victoire du Comité de Secours aux Objecteurs de conscience. (…)
Oui, tout n'est absolument pas mauvais chez les gouvernants. J'apprends qu'on laissera les "objecteurs" Témoins de Jéhovah, bénéficier des avantages que nous avions arrachés pour eux avant l'adoption du statut : ils sortiront de la prison au bout de trois années, libérés également de toute servitude militaire. »
Ainsi en 1963, la hiérarchie des Témoins de Jéhovah a tenté de poignarder celui qui a amélioré leur sort.
En 1995, le ministère de la défense alors dirigé par Monsieur François Léotard tentera néanmoins une nouvelle approche auprès des instances jéhovistes. Il proposera le transfert des objecteurs de conscience Témoins de Jéhovah sous la tutelle du Ministère des Affaires Sociales plutôt que sous la tutelle du Ministère de la Défense. Comme on peut le voir de l’Affaire Louis Lecoin, en 1963 ce n’était pas là le problème, les Témoins de Jéhovah voulaient être exemptés et ne voulaient faire aucune forme de service civil, la hiérarchie jéhoviste donc pliera en 1995, prétextant en public, que c’est le gouvernement qui a cédé à ses requêtes. Elle oublie tout simplement de préciser que ses requêtes avaient changées de 1963 à 1995.
Christian Paturel, avocat et Témoin de Jéhovah, tentera une explication dans son livre « Sectes, Religions et Libertés Publiques ». Il déclarera (Page 110):
« Les Témoins de Jéhovah refusaient d’être assimilés à des ‘objecteurs de conscience classiques’, qui, dans leur quasi-totalité sont des antimilitaristes déclarés. Cette prise de position politique était inadmissible pour des personnes réputées pour leur neutralité, leur apolitisme. (…) Certains pourront trouver désuet un tel comportement. Mais a-t-on le droit de juger des valeurs, des principes qui conduisent certaines personnes à sacrifier leur liberté, et faire don de leur vie ? »
On ne voit pas en quoi le transfert de tutelle d’un ministère à un autre transforme tout à coup le statut d’objecteur de conscience « d’antimilitariste déclaré » à celui « d’apolitique ». Cette rhétorique cache mal en fait que les chefs Témoins de Jéhovah ont tout simplement changés d’avis ce qui sera confirmé quelques années plus tard..
1996
A peine une année plus tard, la confirmation du changement de point de vue apparaîtra dans l’organe officiel du mouvement, la Tour de Garde du 1/05/96 [vi] :
« Qu’en est-il si l’État réclame d’un chrétien qu’il effectue pendant une certaine période de temps un service civil qui soit une forme de service national sous administration civile ? Là encore, le chrétien doit prendre lui-même la décision que lui dicte sa conscience éclairée. “ Tous (...) nous comparaîtrons devant le tribunal de Dieu. ” (Romains 14:10). Le chrétien ayant affaire à une exigence de César doit étudier et méditer la question dans la prière. Il serait sage également qu’il en discute avec des chrétiens mûrs de la congrégation. Après quoi, il prendra lui-même sa décision. — Proverbes 2:1-5 ; Philippiens 4:5. »
C’est donc tout simplement un retour aux idées du fondateur du mouvement, Russell, seulement pendant 70 ans, des milliers de Témoins de Jéhovah se sont retrouvés inutilement sous les barreaux par la faute de l’interprétation de leurs chefs. D’ailleurs bien innocemment en 1997, les chefs jéhovistes donneront la raison de leur changement d’attitude :
« Récemment, “ l’esclave fidèle et avisé ” nous a aidés à affiner notre compréhension du terme “ génération ” utilisé en Matthieu 24:34 et du moment où aura lieu le jugement des “ brebis ” et des “ chèvres ” mentionné en Matthieu 25:31-46, ainsi que notre façon de considérer différents types de service civil (Matthieu 24:45). Sans doute certains apostats se seraient-ils frotté les mains si un nombre important de Témoins de Jéhovah étaient restés obstinément accrochés à l’ancienne compréhension de certains points et avaient refusé d’aller de l’avant. Rien de tel ne s’est produit. Pourquoi ? Parce que les serviteurs de Jéhovah sont fidèles. » [vii]
Ironiquement, tant pour l’enseignement de la « génération » que pour le service civile, ce n’est pas une décision « d’aller en avant » mais plutôt un retour en arrière aux enseignements de Russell.
Depuis, le mouvement tente de rattraper le coup par ces techniques habituelles : Se décharger de sa responsabilité sur les fidèles, cette technique est très bien mise en valeur avec les justifications de l’erreur sur 1975 comme date de la fin du monde, pour le service civil, nous pouvons lire cela :
« Certains Témoins ont souffert à un moment de leur vie pour avoir refusé de participer à une activité à laquelle leur conscience ne trouverait, aujourd’hui, rien à redire. C’est ce qui a pu se passer, par exemple, il y a plusieurs années en rapport avec certaines formes de service civil. Un frère peut estimer qu’il pourrait, à présent, accomplir ce service civil en toute bonne conscience sans faire violence à sa neutralité de chrétien à l’égard du présent système de choses. (…)
Comment pourrait-on regretter d’avoir, pour écouter sa conscience, pris fermement position en faveur de Jéhovah ? En défendant fidèlement les principes chrétiens tels qu’ils les comprenaient ou en obéissant aux incitations de leur conscience, ils se sont montrés dignes de l’amitié de Jéhovah. À n’en pas douter, il est sage de ne rien faire qui puisse troubler notre conscience ou qui risque de faire trébucher autrui. Sous ce rapport, nous pouvons nous inspirer de l’exemple laissé par l’apôtre Paul. — 1 Corinthiens 8:12, 13 ; 10:31-33. » [viii]
La question reste à savoir si ce sont bien « les incitations de leur conscience » qui les ont poussés à agir ainsi et pas « les incitations » de leur hiérarchie. Rappelons-nous des 48 Témoins de Jéhovah qui voulaient accepter le service civil du temps de Louis Lecoin, 33 ans après, on leur a donné raison. Ces réfractaires ont-ils à l’époque été exclus ou réprimandés ? C’est bien possible.
[i] L’Eglise et la Guerre- De la Bible à l’ère atomique de Georges Minois Page 51 Chapitre « De l’Empire Païen à l’Empire Chrétien »
[ii] Pour plus d’informations voir http://perso.wanadoo.fr/thierry.murcia/armes.htm
[iii] Tour de Garde, 1 Août, 1898, pg.231 ; Tour de Garde 1/4/1903 p.3180 ; Tour de Garde, 15 Avril 1903, page 120. les trois références sont en anglais
[iv] Tour de Garde R5929 : page 222. Il fit de même pour les Etudiants de la Bible du Canada- Tour de Garde R5860 : page 62 (Anglais)
[v] Examen complet de l’affaire Louis Lecoin : http://tussier.multimania.com/tj10.htm
[vi] « Rendons les choses de César à César » dans la Tour de Garde du 01/05/96 Page 20
[vii] « Servons fidèlement avec l’organisation de Jéhovah » Tour de Garde du 01/08/1997 Page 12
[viii] « Affermissons notre confiance dans la justice de Dieu » Tour de Garde du 15/08/1998. Page 17